LES INROCKUPTIBLES / les cahiers complémentaires 2021

BôPEUPL [Nouvelles du parc humain]

Faire affleurer un brin d’ironie

Dans un monde au bord de l’effondrement, BôPEUPL se construit sur une observation réflexive des rapports humains.
Entretien avec Michel Schweizer, son créateur.

Qu’exprime le titre BôPEUPL ?

Écrire « beau peuple » normalement me paraît compliqué dans le monde d’aujourd’hui… C’est ce que tend à signifier ce titre, orthographié de manière à faire affleurer un brin d’ironie. Quant au sous-titre, Nouvelles du parc humain, il fait référence à ce concept de « parc humain » exploré dans certaines de mes créations précédentes. BôPEUPL s’inscrit ainsi dans le prolongement direct du vivant – ou de ce qu’il en reste… Nous avons tout à fait conscience que nous sommes en train de détruire le monde, et pourtant nous ne faisons rien, ou quasiment rien, pour modifier cette réalité. C’est vraiment troublant.

Tout le projet se développe dans un échange réflexif soutenu avec le philosophe Dominique Quessada. En qui sa pensée vous stimule-t-elle et comment s’incarne-t-elle sur scène ?

Dominique Quessada aborde notamment – de façon singulière, parfois radicale – un sujet qui m’est cher : l’altérité, le rapport à l’autre. Dans Habiter l’inséparation, il souligne la dimension vitale du rapport à l’autre et affirme la nécessité pour chaque être humain de concevoir qu’il fait partie d’une globalité (humaine et naturelle). Nous sommes tous et toutes ensemble mais, selon lui, notre être-ensemble incline à l’uniformisation dans le monde actuel, plutôt hostile aux formes d’altérité excessive. Cette façon de voir me plaît bien et m’a amené à constituer un casting très atypique pour BôPEUPL, dans lequel se côtoient des professionnels de la scène (Marco Berrettini, Frank Micheletti, Frédéric Tavernini), une jeune musicienne (Aliénor Bartelmé), un autodidacte en marge de la société (Patrick Bedel) et un acteur en situation de handicap (Jérôme Chaudière). Par ailleurs, j’ai passé une commande d’écriture à Dominique Quessada et je propose de courts fragments de ses textes, en voix off, au long du spectacle. Je tiens beaucoup à faire entendre sa pensée. Cela peut apparaître comme quelque chose de difficile, mais je ne crains pas de me confronter aux difficultés.

Les six interprètes forment ce que vous appelez « une communauté de nouveaux ignorants ». Qu’en attendez-vous ?

Chacune de ces six personnes porte un monde. Ce qui m’intéresse, c’est de voir ce qui résulte de leur collaboration au sein d’un projet artistique, dans cette période très particulière de pandémie quia provoqué – temporairement – un rapport différents, plus aigu, à la vie. Au tout début du travail, je leur ai demandé d’abandonner leurs habitudes relationnelles. Le projet fonctionne un peu comme un laboratoire humain, dans lequel j’observe les capacités d’attention et d’adaptation à l’autre de chaque participant. Je regarde cette communauté évoluer, se fissurer, vieillir au fil des répétitions et de représentations. Je la vois comme un échantillon d’humanité assez remarquable. Le spectacle restitue à la fois la force intrinsèque de chaque individualité et des éclats de collectif. Je pense – du moins, j’espère – que cela peu être régénérant.

Jérôme Provençal