MOUVEMENT / janvier 2018

CHEPTEL

S’extraire de la vase écolo

(…)
Peu à peu, de tableau en tableau, ces ados s’aguerrissent . Ils interpellent les adultes, directement. Oh ça n’est pas la guerre des générations. Cinquante ans après, Mai 68 ne se décrète pas. Les acteurs sont plutôt amicaux. Mais avancent sur le fil. Ils nous parlent les yeux dans les yeux. Finissent par nous crier d’insupportables stridences. Comme ivres d’un défi nécessaire. Ils coupent. Ils décapent. Ils sapent. Il n’y a finalement pas tant de questions à poser : pourquoi les adultes acceptent-ils leur propre silence ? Et « l’impression d’être passés à côté de leur vie » ? Incapable qu’ils sont de saisir leur « droit de choisir d’être quelqu’un d’autre ».

C’est simple. Mais implacable. Déstabilisateur. « On n’est pas seuls. On est juste sans vous », constatent ces jeunes. De « champ chorégraphique » parlait la feuille de salle ? En effet. Il n’y a quasiment pas de danse reconnue pour danse dans Cheptel. Beaucoup plus précieuse : il y a une présence entière, se poser, attendre, se faufiler, essayer, et oser une manière de prendre la parole, nous désigner notre propre fuite du plateau, nous indiquer enfin qu’est venu « le jour du choix ».

C’est un critique de danse qui écrit ces lignes et qui après chaque spectacle de Michel Schweizer se demande comment des jeunes analogues à ceux-ci, quand ils passent dans les circuits de la danse à l’école – avec ses programmes, ses instructions ministérielles, ses références à la Nouvelle danse, ses profs de gym, ses artistes à recycler -, en ressortent ternes et atones. Où leurs gestes appliqués trahissent comment un immense pan de la danse – y compris dite contemporaine – n’est que mise en discipline des corps, et restriction des personnalités.

Gérard Mayen